Focus acteur : Henri Dupassieux, conseiller en énergies

Henri Dupassieux est aujourd’hui en milieu de cursus au CIEDEL. Avant sa formation, il a exercé pendant 27 ans à l’ASDER (Association Savoyarde pour le Développement des Énergies Renouvelables), comme conseiller au sein d’un espace info-énergie. A l’ASDER, il avait une fonction de conseil-expertise pour le développement de filières énergies renouvelables, essentiellement la filière bois-énergie et le solaire. Il accompagnait des stratégies de territoires sur les politiques de  transition énergétique, ce qui incluait une activité de conseil et une activité de formation.

Bonjour Henri. Tu es à mi-chemin dans ta formation au CIEDEL. Peux-tu déjà nous parler de ton projet professionnel pour la suite ?

La ville de Chambéry, au sein de laquelle je suis élu [il en est à son troisième mandat], est jumelée avec la ville d’Ouahigouya, au Burkina Faso. Dans le cadre de cette coopération décentralisée, j’ai effectué en 2015 une mission à titre personnel au Burkina, pour étudier les opportunités de développer des actions en lien avec l’accès aux énergies renouvelables. Dans le cadre de cette mission, j’ai pu rencontrer des acteurs locaux qui ont expérimenté un programme de fabrication et de diffusion de cuiseurs solaires performants. Les ménages qui l’utilisent (environ 250) se sont adaptés à cette nouvelle façon de cuisiner et en sont satisfaits. Je souhaite monter un programme pour répliquer et améliorer cette expérience dans 10 à 15 territoires d’Afrique de l’Ouest et de la région subsaharienne.

Je suis dans une phase de formulation du projet.  Il y a toute une phase de conceptualisation du programme, de recherche de partenariats sur le portage du programme et pour la diffusion au niveau local. Je suis déjà en discussion avec les partenaires techniques qui portent le programme en cours à Ouahigouya. Ce programme pourrait concerner des territoires de 200 000 hbts pour un objectif de 1500 kits de cuisson diffusés en 5 ans, soit environ 5 % des ménages d’un territoire. L’un des points forts de ce programme sera la création d’une activité économique locale qui permettra au territoire d’assurer son autonomie sur cette question de la cuisson solaire.

Qu’est-ce qui t’as amené à développer un tel projet ?

Lors de ma mission en juillet 2015, j’ai découvert une bonne dynamique sur le biogaz et l’accès à l’électricité domestique. J’ai découvert également qu’il y a de gros enjeux sur la transformation et le séchage des fruits (50% des fruits récoltés sont perdus). Je ne pensais pas m’intéresser à la cuisson solaire. Comme beaucoup d’acteurs du développement, je pensais que la cuisson solaire,  dont on parle depuis 30 ans, était en échec pour tout un tas de considérations.

Dans le cadre de mon stage, j’ai pris le temps de lire des rapports sur les questions énergétiques en Afrique. Le problème de l’accès à l’énergie dans les pays en développement est crucial mais les réponses visent surtout à fournir de l’électricité. On met en place des réseaux lourds alors qu’il est plus urgent de proposer des kits domestiques, qui permettent l’autonomie des familles. Plus de 70% des consommations d’énergie sont liés à la cuisson, et  90% de la cuisson se fait sur un foyer bois trois pierres. Cela entraine des problèmes de pénurie et de déforestation. Donc l’énergie pour la cuisson est un enjeu au moins aussi important que l’accès à l’électricité, mais il est très peu évoqué dans les programmes de développement.

Les échecs de la cuisson solaire viennent en grande partie de la diffusion d’appareils pas adaptés, pas assez performants, pas ergonomiques (accès et réglage de la parabole), et importés, ce qui les rendaient peu accessibles sans aides. Par ailleurs, il faut mettre en place un programme d’accompagnement et de suivi pertinent pour garantir une bonne appropriation. L’expérience de Ouahigouya a pris en compte toutes ces contraintes. Le développement de la cuisson solaire permet de répondre à un double enjeu, à la fois apporter une réponse à la pénurie de bois, et de contribuer au développement économique par une fabrication presque entièrement locale. Seuls les pétales de la parabole sont importés pour un coût correspondant à 15 % environ du coût final.

Depuis ta première mission, comment ton projet a évolué et quelles sont les prochaines étapes pour qu’il aboutisse ?

La formation du CIEDEL me permet d’acquérir les méthodes de formulation de projet, les stratégies organisationnelles et des partenariats, les codes et les éléments de langage du développement local.

La faiblesse de l’expérience de Ouahigouya repose sur le fait que le projet n’a pas été construit en partenariat avec les collectivités locales. Cela le rend fragile. Elle n’est pas soutenue par les politiques locales. La pérennisation de ce type d’action ne peut se concevoir sans un ancrage fort dans les politiques publiques locales, car elle relève d’un enjeu d’intérêt éminemment public. Je suis donc dans une optique de rentrer en dialogue avec les collectivités locales et  co-construire le programme avec des acteurs locaux qui partagent la vision et les valeurs du programme.

Le milieu de la coopération internationale est un peu « chasse gardée » parfois, donc je compte bien mettre à profit mon expérience au CIEDEL et ses réseaux pour gagner la confiance des partenaires techniques et financiers. C’est primordial dans un secteur où il y a déjà eu beaucoup d’échecs.

Justement, comment vois-tu ta collaboration avec d’autres professionnels de la coopération internationale et avec les acteurs locaux au Burkina Faso ?

Le portage, la conception, la coordination et le suivi du programme devront être assurés par une ONG française et/ou africaine, et c’est à ce niveau que je compte jouer un rôle. Pour ce qui est de l’expertise et de l’appui, il va falloir capitaliser ce qui a déjà été fait à Ouahigouya. KERA Energy (bureau d’études spécialisé dans la cuisson solaire) et World Espoir Energy à Ouahigouya ont l’expertise technique de la conception et de la fabrication. L’ONG locale Planète Verte s’est occupée de la diffusion auprès des femmes qui acquièrent les kits solaires.

Une des priorités et de trouver une ONG partenaire pour travailler sur la gouvernance du projet et porter le dossier de financement. Dans chaque zone, on va ensuite devoir construire des partenariats opérationnels avec :

  • les autorités locales  ;
  • les entreprises intéressées pour construire les cuiseurs (menuisiers métalliques) ;
  • une ONG qui travaille pour la promotion des femmes pour diffuser et accompagner le changement culturel et technique de la cuisson solaire avec 4 séances de 3h de formation et de suivi.

Je prépare une tournée africaine cet été dans 7 pays pour rencontrer à la fois des soutiens institutionnels (AFD, Agence Européenne de Développement, administrations locales d’énergie…) et des acteurs locaux pour essayer d’intéresser de futurs partenaires. Il va falloir convaincre les sceptiques qui ne croient plus dans la cuisson solaire, et motiver les acteurs  qui s’intéressent à une alternative au feu de bois.

Pour une fois le matériel va être fabriqué localement et non importé. C’est une vraie innovation qui devrait permettre à terme l’autonomie des acteurs locaux.

Tu as évoqué plus tôt ton expérience d’élu en France, à Chambéry. Est-ce que tu peux nous dire pourquoi et comment tu t’es retrouvé à t’engager en politique ?

L’engagement politique est souvent précédé d’un engagement associatif. Ça a été le cas pour moi.  Dans les années 1980, j’étais engagé dans des mouvements à connotation écologiste (mouvement non-violents, objection de conscience, solidarité internationale, anti nucléaire,…). Je me suis ensuite engagé dans un parti qui défendait ces valeurs puis présenté à un mandat électif communal. Mes motivations étaient de travailler sur la transition écologique. J’ai d’abord été adjoint au maire en charge du développement durable, où l’une de mes premières actions a été de bâtir un agenda 21 (programme d’actions)  pour Chambéry et son agglomération. Lors de mon second mandat j’ai été adjoint au développement durable, aux bâtiments, à l’énergie et à la sécurité sanitaire et vice-président transport à l’agglomération. Depuis 2014, je suis élu dans la minorité, ce qui m’a permis de me rendre disponible pour travailler sur ces questions auxquelles je pensais depuis plusieurs années.

En tant qu’élu, on perçoit très bien que le développement local ne peut venir que des initiatives des territoires et de ses acteurs, il ne peut pas se décider d’en haut.

De quoi es-tu le plus fier en tant qu’élu ?

Quand je suis arrivé en 2001, on parlait de Développement Durable depuis le sommet de Rio (1992) mais le DD n’avait pas vraiment franchi la porte de la collectivité. Il fallait donc mettre en place une organisation et structurer les services pour porter et promouvoir cette approche. Il fallait aussi systématiser l’évaluation de nos politiques publiques – ce qui demande encore à être améliorer. Je dis souvent que « ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas ». J’ai contribué à mettre en place cette culture avec de nombreuses actions qui ont fait évoluer les services et les élus.

Un point qui t’as particulièrement frustré dans ton expérience ?

Les changements ne sont jamais acquis si la volonté politique se réoriente. Des processus mis en place patiemment pendant deux mandats peuvent être remis en cause. C’est le jeu de l’alternance, mais c’est aussi une limite de notre démocratie.

Un auteur ou un livre que tu aimes bien ?

J’ai été très marqué par les acteurs et penseurs de l’action non violente : Martin Luther King, Gandhi, Lanza del Vasto, Jean Goss,… Ca a forgé en moi une nouvelle approche des enjeux de société et des relations sociales, des combats humains pour plus de justice et de solidarité. Ces grands témoins ont forgé mon caractère militant qui me permet d’oser affronter des enjeux, relever des défis, et prendre des responsabilités. Si je ne devais citer qu’un texte, ce serait évidemment le discours de M.Luther King, I have a dream.